Edité en 1958, ce pamphlet politique porte les marques de son temps. Il a cependant étonnement peu vieilli. "Rien de nouveau sous le soleil, disions-nous l’autre jour, longtemps après l’Ecclésiaste", écrivait Léon Savary. Oui, les hommes se ressemblent passablement d’âge en âge. Et si, depuis quarante ans, beaucoup se plaignent de la lenteur des réformes dans notre pays, c’est sans doute que les hommespolitiques d’aujourd’hui ne sont pas très différents de leurs pères. Aussi ce livre demeure-t-il, à mon sens, de bon conseil pour qui voudrait accéder à la chambre du peuple.
Si vous voulez devenir conseiller national, commencez naturellement par faire allégeance à un parti politique. Evitez seulement "les extrêmes, qui dans notre pays, sont d’un mauvais rendement électoral." Vous faites "un peu peuple" comme Jean-Louis Trublet, le héros tragi-comique de cet ouvrage? Alors n’espérez pas adhérer au parti libéral. Sous ces réserves, vous avez le choix. Tissez lentement votre toile, montrez votre attachement à votre canton, graissez la patte des sociétés locales, ne refusez jamais un "dîner-choucroute" ou un "souper-tripes". Le jour de l’élection, faites tracer les noms de vos colistiers sans manquer de déplorer le procédé et, sûr de votre victoire, assénez enfin l’argument massue: "Le peuple a parlé."
Vous voilà donc à Berne. Là, multipliez les contacts personnels et mettez-vous d’emblée à l’étude du jargon parlementaire. Désormais ne dites plus: "une belle vache; dites: une pièce sélectionnée de notre cheptel bovin; ne dites pas: un chat qui attrape bien les souris; dites: un félidé domestique, spécialement apte à l’extermination des rongeurs de l’espèce micromyominutus; ne dites pas: une maison; dites: un immeuble affecté à l’habitation…" Ne manquez pas non plus de profiter de votre situation pour faire, avec mesure naturellement, un peu de racket. Faites effet dans les commissions en prononçant quelques chiffres savants, monnayez votre pouvoir d’électeur du Conseil fédéral et, de grâce, ne vous privez pas, durant une pause bien méritée au café du coin, de pincer le postérieur d’une gentille sommelière et de vous exclamer : "Elle a de belles fesses, n’est-ce pas? Ah! ah! ah! Elle a de belles fesses!" Vous laisserez, semble-t-il, le souvenir d’un homme d’infiniment d’esprit.
Voilà pour les conseils, voilà pour le fond. Ajoutons que l’on trouvera rarement, dans cet ouvrage, cette formidable violence et cette aigreur qui émane parfois des écrits pamphlétaires de nos voisins français, ou même de certains de nos compatriotes fortement engagés. Voulez-vous être conseiller national n’est pas tant le livre de la dénonciation. C’est le livre de la dérision, et peut-être de l’autodérision. Et ce n’est pas là sa moindre qualité. Si nul ne les ménage, force est de constater que l’on peine, dans ce pays, à se moquer des politiciens. Qu’un chroniqueur s’essaie un jour à un peu d’humour dans le domaine et il se fait prestement virer. Pourtant, savoir rire de ses élus c’est aussi montrer que l’on sait rire de soi. Et savoir rire de soi, comme savoir parfois fermer les yeux, c’est tout l’art de vivre.
Né dans le canton de Neuchâtel de père vaudois, un pasteur, et de mère balte, Léon Savary se convertit au catholicisme et séjourna de nombreuses années à Fribourg. Avant de vivre à Genève, Berne et Paris. Erudit, il fut un grand connaisseur de l’Eglise. Dans le dossier qui suit cette réédition, le théologien Jean-Marie Savioz se penche sur L’enfant terrible de l’Eglise, sur le troublant parcours religieux de cet homme complexe. (ngb)
Livre illustré par des dessins de Mix et Remix.