A son fils, né en 02, Alain Chardonnens, l'auteur du Guide du Pays des Trois-Lacs, paru aux éditions de l'Aire, désirait offrir cette description empirique, subjective et anecdotique des cités éphémères d'une expo évanouie de nos paysages. Il a donc sillonné tous les arteplages, patienté à toutes les queues, lu tous les articles pour vous offrir une véritable chronique de cet étrange temps jadis. Une occasion de (re)vivre, de (re)sentir simplement à travers son regard, les doutes, les beautés et les polémiques suscités par "notre" Expo.02.
Morat - Instant et Eternité
Incontestablement, en parcourant l'arteplage de Morat, on se croirait dans un port. Devant la porte de Berne, trônent des containers empilés les uns sur les autres: ils abritent les locaux de l'Office du tourisme, de l'accueil et de l'expo-shop. On s'attend à voir les dockers surgir à tout moment pour les transporter dans des cargos. Cette impression de docks est renforcée par les lourdes chaînes rouillées qui longent les trottoirs du giratoire, de l'auberge de l'Ange (Enge) jusqu'au Schiff, histoire de dissuader tout parking sauvage. Après avoir dévalé le Raffor, les bords du lac offrent au regard de nouveaux containers: le stand photo, devant lequel Lili, la mascotte d'Expo.02, est assise, ainsi qu'un nouvel expo-shop caractérisé par toute sa palette de produits dérivés (t-shirt, boîte à musique, bock à bière, toutes les pièces étant frappées du logo de l'Expo). Quelques dizaines de mètres après le débarcadère, l'impression angoissante des docks fait place à une promenade à lamelles blanches. Pour un peu, on se croirait déambuler le long d'un bord de mer d'une petite station balnéaire californienne, peut-être Ocean Beach. Et puis, alors que deux piles de gravats se détachent - le théâtre des Graviers abrite les armoires magiques de "Gli Universi Sensibili" et du "Temps des Escargots" -, on ne peut être que happé par le vaisseau fantôme de l'Expo, le mésoscaphe d'Auguste Piccard. Rongé par le temps, vieille épave qui s'est exilée de longues années au Texas alors qu'il avait été l'une des principales attractions de l'Exposition nationale de 1964, le mésoscaphe fait peine à voir et trouble les personnes âgées qui mesurent avec amertume l'usure du temps. Morat et son port. Les docks imaginaires s'agitent: un lourd paquebot rouillé fend la brume et montre son intention de mouiller à quelques encablures des berges: c'est le Monolithe de Jean Nouvel.
Le Monolithe
Ce cube rouillé d'une arête de trente-quatre mètres - il atteint la hauteur d'un immeuble de douze étages - est l'attraction par excellence de l'arteplage de Morat. Il est, avec les Tours de Bienne, les Galets de Neuchâtel et le Nuage d'Yverdon-les-Bains, l'icône d'Expo.02. En d'autres termes, ce cube, tout droit sorti du film 2001, Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, devrait vraisem-blablement habiter un espace de la mémoire du visiteur jusqu'au dernier de ses jours. Il est vrai qu'il est impressionnant. A couper le souffle. Dans la file de badauds qui attendent patiemment leur tour pour prendre pied sur l'embarcation qui les emmènera dans le ventre du Monolithe, j'ai la joie de reconnaître une famille du village voisin, membre de l'UDC locale. Alors que le parti de Christophe Blocher s'est opposé aux centaines de millions de francs de rallonge demandés par la direction de l'Exposition nationale, la maman me déclare qu'elle s'y rend chaque semaine. Quand le vin est tiré, il faut le boire. L'Exposition nationale est là pour cinq mois, alors autant la visiter, voire la savourer, plutôt que de la bouder. L'UDC locale est donc soluble dans les eaux du Monolithe. La petite embarcation quitte le quai et, en moins d'une minute, contourne d'est en ouest le Monolithe, vaisseau sorti tout droit du néant. Entrons. Une fois que les yeux se sont habitués à la pénombre, on se prend pour Jonas dans le ventre de la baleine. Mais dans une cavité non pas de chair, mais métallique, pourvue d'un écran circulaire de huit mètres de haut et vingt et un de large. Les images de "Panorama Suisse version 2.1" inondent les pupilles: une pluie de géraniums, des vues de chalets et de montagnes, quelques scènes d'attente dans une gare: une présentation artistique de la vie quotidienne des Suisses au seuil du XXIe siècle. Cherchant mon chemin dans l'obscurité, redoutant de trébucher sur une personne qui aurait eu la mauvaise idée de se trouver assise sur mon chemin, je me dirige vers les escalators qui m'emmènent dans les étages supérieurs de la baleine. Seules les lumières verdâtres émanant des escaliers balisent le lieu. Pour un peu, la pénombre deviendrait étouffante. J'avale plusieurs étages. Et c'est le choc. Je me retrouve en pleine bataille, celle opposant les Confédérés aux armées de Charles de Bourgogne. Il s'agit d'un affrontement qui va durablement modifier le visage de l'Europe. La Lotharingie et les Etats bourguignons disparaîtront définitivement. Cette Europe médiane faisant office d'Etat-tampon entre la France et les Allemagnes ayant disparu, il n'y aura plus de rempart entre Marianne et Germania, entre le coq et l'aigle. Et si finalement la Bataille de Morat, comme celle de Grandson et de Nancy, portait en elle les germes destructeurs des guerres franco-germaniques de 1871, 1914 et 1939? Personnellement, je répugne à parler de Charles le Téméraire. Je préfère plutôt évoquer Charles le Hardi, comme il est appelé en Belgique. Dans les manuels d'histoire helvétiques, l'écolier apprend qu'un choc manichéen a eu lieu le 22 juin 1476: le bien - les Suisses - a eu raison du mal, incarné par la Bourgogne. Et pourtant, à y regarder de plus près, Charles n'était-il pas l'allié de la Savoie, qui cherchait à contrer les assauts des cantons alémaniques? Charles ne défendait-il pas les intérêts des pays romands contre les prétentions des voisins germanophones de l'est? Voilà qu'en 1536, rien de moins qu'un demi-siècle plus tard, le Pays de Vaud tombait sous la coupe de l'Ours bernois et ce, pour une durée de trois siècles et demi. La bataille fait rage. Elle se déroule sur une gigantesque toile circulaire de cent onze mètres de long sur dix mètres et demi de large. Elle a été réalisée par Louis Braun durant les années 1893-1894. La violence est parfois si crue qu'il était déconseillé, à l'époque, aux femmes enceintes, aux enfants et aux âmes sensibles de venir la contempler. Les détails sont légions et les étendards claquent au vent: je reconnais, outre ceux de la Confédération helvétique, les drapeaux de Lorraine, d'Angleterre, de Cerlier, de Laupen, de Sursee et de Bienne. Quelques personnages également: les commandants helvétiques Hans Waldmann et Hans de Hallwyl, l'ambassadeur espagnol Lucena, et René, le duc de Lorraine. Habitant la région, les villages de Courgevaux, de Faoug et de Meyriez me sont familiers. Tout comme le Vully et le Jura en arrière-plan. Un enfant bien éveillé demande à ses grands-parents gênés qui sont ces femmes à la poitrine découverte sortant des tentes… Un visiteur fribourgeois fait part de son vif mécontentement: le drapeau bernois flotte sur le château de Morat. La toile de Braun, en mauvais état, a dormi de longues années dans le Werkhof de la ville de Morat avant d'être restaurée par la Fondation pour le Panorama de la Bataille de Morat. Une fois l'Exposition nationale terminée, qu'adviendra-t-il de l'oeuvre? Dans quelles nouvelles caves le Téméraire et ses armées vont-ils dormir durant des décennies? Décidément, Morat reste le tombeau du Grand Duc d'Occident…
Ce deuxième livre de Gérard Falcioni est la poursuite, à travers l'écriture, d'une quête de vérité. Il explique ses intentions et la genèse de La Messe câline dans la lettre qui suit:
"A la suite de la parution de L'établi de la vie, je m'attendais à vivre un hiver paisible dans la blancheur de nos montagnes. Mais certaines rencontres et de nouvelles révélations allaient contrarier mes espérances.
D'abord la position de l'évêque de Sion qui, par ses excuses hautaines et ses regrets de mijaurées, n'a fait que conforter certains notables dans leurs convictions que nous, les anciens enfants abusés par des prêtres, ne sommes que des "bons à rien semeurs de m." (remarque qui m'a été faite publiquement) et, pire encore, des cas isolés exagérant dans leurs dénonciations.
Les témoignages que j'allais pourtant recevoir, et qui se sont échelonnés durant tout l'hiver 2002 - j'en reçois encore maintenant - m'ont démontré que les problèmes de pédophilie au sein de l'Eglise suisse, même s'ils sont le lot d'une minorité, anéantissent en toute impunité des vies sous nos yeux.
J'ai reçu des témoignages abondants, émanant surtout de Valaisans et de Fribourgeois, parfois depersonnes de plus de septante ans. Il y en a qui me sont parvenus de Hollande, de Belgique, d'Italie, du Portugal, du Brésil. Certains sont d'une réalité et d'une cruauté insoutenables. Combien de vieux, ici en Valais, m'ont confié, les yeux perdus dans le lointain: "Oui, si les vieux pouvaient délier leurs langues". Et combien de personnes de ma génération se souviennent de mises en garde de leurs mères les invitant à ne pas s'attarder dans la sacristie après la messe?
Dans un village, l'instituteur abusait de certaines petites filles. Lorsqu'elles s'en ouvraient, dans le seul lieu où elles pensaient pouvoir le faire, le confessionnal, c'est le curé qui couvrait l'instituteur.
Je continue à comprendre ceux qui ne peuvent pas croire que cela existe, mais je considère en même temps que l'ampleur de cette réalité et sa gravité, qu'on essaie de minimiser, ne peuvent demeurer cloîtrées dans l'ombre du confessionnal ou du cabinet de psychiatre: "Des destins qui basculent en entraînent d'autres".
J'allais apprendre aussi comment la porte de l'évêché avait claqué aux nez des quelques mamans qui tentaient de dénoncer ces abus, que certains enfants avaient réussi à articuler. On leur répondit: "L'évêque ne peut vous recevoir mais, vous savez, les enfants oublient vite".
J'allais apprendre encore que le pauvre prêtre en question avait été déplacé dans une quatrième paroisse alors que je me souviens que mon père avait expressément demandé qu'il soit tenu à l'écart de tout contact avec des enfants. Lors de ce dernier ministère, l'évêque de Sion était le cardinal actuel.
Enfin, une lettre de la régente qui avait, en son temps, dénoncé les atteintes envers des enfants, allait déposer en moi une gerbe de dégoût et de révolte. Elle perdit alors son emploi et n'en retrouva plus.
A ceci venait s'ajouter qu'il ne s'est pas passé une semaine, durant cet hiver 2002, sans qu'une femme me confie avoir été abusée durant son enfance.
Je ne suis pas du tout préparé à recevoir et à répondre à de telles confidences. La plupart du temps, je ne pouvais que bafouiller quelques mots et m'en aller. Je n'avais pas mesuré les retombées de ma décision de publier mon témoignage.
Une révolte bouillante grondait en moi. Convaincu que la haine et la violence ne sont qu'un héritage du passé, je voulais les dépasser. Je griffonnais le soir, quelques mots, quelques lignes, afin de lutter contre la confusion et le désespoir qui m'habitaient. Je savais que je ne pourrai plus faire ou vivre "comme si de rien n'était" mais je ne savais pas que faire.
A la fin de la saison d'hiver, je me suis un peu évadé dans les montagnes. Puis, durant la semaine suivant Pâques, un premier texte a jailli, en quelques jours: L'enfant tout de blanc. Ce texte a coulé comme un ciel qui pleure et je décidais de le dédier à Gilles K. dont le témoignage m'avait bouleversé au début de l'hiver.
Je n'arrivais pas à croire ce que j'écrivais et pourtant je savais que c'était vrai. Mon corps s'est alors recouvert de plaques rouges et purulentes. J'ai eu peur.
Avant d'aller voir un médecin, et comme mon éditeur précédent refusait d'entrer en matière, je décidais d'envoyer ce petit manuscrit à quelques journalistes qui m'avaient approché lors de mon témoignage. Il devait absolument être lu, être su, quoi qu'il m'arrive. C'est alors que j'eus besoin d'aller voir "La toute vieille femme". Visite qui deviendra le sujet de la deuxième partie de mon manuscrit.
L'écriture de celle-ci m'a été plus ardue. C'était comme aller creuser un siècle qui me parut soudain opaque et obscur. Il m'avait transmis la culture qui me constitue. L'ai-je perpétuée par attachement au confort? Ce qui est sûr, c'est que je n'ai pas eu besoin d'appliquer la pommade à base de cortisone que le médecin m'avait prescrite.
Ce qui est sûr aussi, c'est que ma pensée allait se fixer désormais, à la relecture de ma vie, sur des évidences et des certitudes qui me font trembler. N'avais-je pas obéi et cru plutôt que réfléchi? La répression de la satisfaction génitale qui survint après y avoir été forcé (et, horreur, avec consentement) engendre une culpabilité tenace et morbide.
S'il pouvait finir ce temps où tant de petits dieux dansent sur le plancher de la misère, là où tant d'autres cherchent à être.
Dans sa lettre la régente a glissé, lorsqu'elle me confiait avoir essayé de dénoncer les actes de pédophilie: "Je m'excuse, mais j'ai dû vivre comme une criminelle le restant de mes jours". Moi je m'excuse aussi de devoir écrire ce livre. Il ne faudrait pas que ces choses existent, à tel point qu'on les nie et qu'on les cache comme des destins oppressés ou des bombes soudaines sur les caprices du mensonge."
Gérard Falcioni
Les portraits fribourgeois n'avaient plus été exposés dans une telle ampleur depuis 60 ans.
Le livre richement illustré qui accompagne l'exposition La Tête des nôtres est une remarquable synthèse du genre.
Quel rapport entretenaient le portrait peint et la photo à l'apparition de cette dernière? Quel était le rôle social des représentations individuelles et collectives? Quelle vision de la société se dégage du corpus des portraits fribourgeois? Les soixante premières pages du livre, avec leur 56 illustrations, répondent à ces questions et à bien d'autres qui fixent le cadre général - historique, social et artistique - dans lequel s'insère la riche production de portraits dans le canton depuis 1850. Dans la deuxième partie, soixante destins individuels racontent autant de "chapitres" de l'histoire du canton. Un texte d'une page accompagne chacune des œuvres publiées en pleine page. Les auteurs - Verena Villiger, Jean Steinauer et Caroline Schuster Cordone - ont enquêté sur les personnages et les groupes représentés. On y découvre Alexandre Charles Buntschu, Jean-Marie Musy, Edouard Guhl, Victor Tissot, Joseph Piller, la merveilleuse Marie Blaser-Gloedlin, le vendeur de la loterie romande, la famille de paysan, la société de gymnastique… Les uns sont extrêmement connus, il ne reste des autres que quelques souvenirs. La Tête des nôtres les fait mieux connaître, aimer parfois. Les grands artistes fribourgeois - Hiram Brülhart, Raymond Buchs, Alfred Lorson… - apparaissent tout au long du livre. Mais la présence de Balthus, d'Hodler, de Vallotton parmi les portraitistes, d'hommes et de femmes venus d'ailleurs parmi les personnages représentés, ouvre la porte d'un espace fribourgeois envisagé dans des frontières larges. De passage ou intégrés pour longtemps, ils font tous partie de cette histoire fribourgeoise racontée par le portrait dans ce magnifique livre.
Un livre de Verena Villiger, Jean Steinauer et Caroline Schuster Cordone (116 illustrations dont la plupart en couleur et 65 en pleine page).
"Le nouveau pape a 32 ans. On le prétend plus à l’aise sur une planche de surf qu’à l’heure de dire la messe et il semble préférer les scènes de concert au balcon de Saint-Pierre. Au Vatican, on s’arrache les cheveux, mais le pape est à la mode et des foules de jeunes convertis se pressent dans les églises."
L’Église catholique a convié des consultants à son chevet. Ils arrivent le front haut, munis de concepts et de solutions, sûrs de leur fait. Mais les remèdes à action rapide du monde libéral sont-ils vraiment adaptés à la vieille dame de la chrétienté ? Peut-on s’adresser aux croyants avec un oeil sur des statistiques et l’autre sur un plan de communication ? Une frange de l’Église a décidé de parier que oui.
Le produit de cette rencontre entre l’âme et le portefeuille est un pape de 32 ans. Kevin premier est formaté pour séduire les foules sur des rythmes techno, pour chanter le tube de l’été tout en ramenant la jeunesse au bercail. Et le miracle se produit. L’Église trouve un souffle nouveau et surfe avec son pape sur la vague du succès.
Mais l’immédiat se passe difficilement de l’éphémère. Et l’Église se retrouve alors face à un défi autrement compliqué. Ce pape trop jeune et trop aimé, il va falloir le faire durer.
Le martyre du pape Kevin est une joyeuse immersion dans ce choc des cultures, un roman qui nous propose en outre une galerie de personnages intrigants, attachants ou franchement ridicules. Satire sans doute, caricature bien sûr, mais on se prend parfois à penser que même dans l’absurde et la gaudriole, on ne se trouve pas bien loin du réel.
Les éditions faim de siècle publient un ouvrage qui tient du roman et de l’enquête historique minutieuse : Les chevauchées du colonel Koenig. Un aventurier dans l’Europe en guerre 1594-1647.
Verena Villiger, Jean Steinauer et Daniel Bitterli ont reconstitué le destin et l’itinéraire tourmentés de François-Pierre Koenig (1594-1647), cet homme de guerre et de gouvernement qui, formé à Fribourg, sillonna bien vite une Europe du XVIIe siècle aux prises avec la guerre de Trente Ans. Commanditaire du premier portait équestre dans l’histoire de l’art suisse, F.-P. Koenig sait se mettre en scène, et sa vie tient du roman de cape et d’épée avec des aventures qui le mèneront de la Hongrie à la Franche-Comté et de l’Adriatique à la Baltique. Son parcours permet au lecteur de s’immiscer tout aussi bien dans l’histoire locale fribourgeoise – il occupa la plus haute charge de l’Etat – que dans celle d’une Europe en mutation.
Cette publication accompagne l’exposition intitulée Koenig! La guerre, la gloire, la foi - Für Glauben,Ruhm und Krieg qui se déroula du 29.09.2006 au 28.01.2007 au Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg.
Dans un canton tenu jusqu'alors à l'écart du monde industriel, la création et le développement de la Verrerie de Monthey (1824-1933) représentent une véritable petite révolution. L'ouvrier succède à l'artisan, l'usine à l'atelier. Posant le premier jalon de l'important développement de la place industrielle du Chablais, la Verrerie témoigne du rôle pionnier joué en Valais par des générations d'entrepreneurs et d'ouvriers étrangers. Face à une dynastie patronale qui tâche de s'adapter aux mutations économiques, le petit monde ouvrier lié à ce pénible métier s'organise. Pour la première fois les mots "grève", "syndicats", "kroumirs" résonnent dans un Valais qui découvre le drapeau rouge.
Pour ma génération, "La Verrerie" n'évoque plus que le nom d'un centre commercial de Monthey et d'une rue adjacente. Pour celle de mes parents, elle représentait le plus fantastique espace de jeu que Monthey ait eu à proposer à sa jeunesse: un terrain vague et des bâtiments abandonnés regorgeant de trésors de verre et de papier… L'écrivain Jean-Luc Benoziglio, né à Monthey en 1941, en donne un description saisissante dans son ouvrage Quelqu'unbis est mort paru en 1972:
"De l'autre côté de la rue, quelqu'un pouvait également voir une baraque à demi-effondrée, énorme chose en ruine qui dressait vers le ciel ses squelettes d'escaliers, ses poutres semblables à l'os qui traverse la peau, ses cheminées pourries et pas mal d'herbes folles. Des moutons y paissaient sans doute obscurément. Ou des vaches. Quelque chose, en tout cas, à quatre pattes, et qui broute. L'embarras du choix. Au dire ce ceux qui savaient, cette ruine ou ce qu'il restait de cette ruine, aurait été une fort célèbre verrerie. Elle avait connu, semble-t-il, son heure de gloire vers l'an mille neuf cent. Détail piquant, les verriers étaient saouls d'absinthe de l'aube au couchant. Ah, les braves gens. Quelqu'un restait parfois des heures à contempler la verrerie, se demandant peut-être si, longtemps encore, elle surnagerait au déluge, si, longtemps encore, ces fantômes au torse nu et aux joues étrangement gonflées emboucheraient leur tube et souffleraient, avec l'application grave des batraciens à la ponte, des araignées cristallines, flûtes de poussière, rouille en hanaps, relents d'alcool, si, longtemps encore, la lueur rouge montant des fours se loverait aux carreaux cassés et y plaquerait des madones en vitrail sitôt éteintes (déshabillées ?) par la pluie."
Mes grand-parents et leurs contemporains se souviennent tout juste d'avoir vu de la fumée sortir de ces hautes cheminées. Et seuls leurs parents auraient pu nous parler des gens qui y travaillaient et de l'ambiance qui y régnait.
Alors que pendant plus de cent ans, la Verrerie a joué un rôle majeur dans l'industrialisation, non seulement de la localité, mais aussi de la région, rares en sont les témoignages aujourd'hui visibles en ville de Monthey. Des deux emplacements de l'industrie verrière, seul le site de la Verrerie de la Gare est passé en une discrète postérité qui l'empêche de tomber dans l'oubli: la rue qui longeait l'entreprise a pris son nom, tout comme le centre commercial qui s'y est élevé en lieu et place.
La main d'œuvre, un surprenant mélange de Montheysans, de gens de la région et d'étrangers - Français et Italiens surtout, mais aussi Prussiens, Hongrois, Hollandais - a contribué à l'atmosphère particulière qui régnait à la Verrerie. Des familles entières, parfois sur plusieurs générations, y ont travaillé: les familles fondatrices bien entendu, les Contat, Seingre, Trottet et Franc; mais aussi des familles comme les Boissard, Chappex, Coppex, Delmonté, Duchoud, Gallay, Garny, Rigoli et Voisin, entre autres, qui ont fourni maints ouvriers et employés.
Difficile, aujourd'hui, de s'imaginer que certains Montheysans égalaient les verriers vénitiens de Murano en savoir-faire et en finesse d'exécution. Carafes élégantes, vases à fleurs tarabiscotés et coupelles à fruits taillées ont côtoyé, sur les rayons des magasins de la Verrerie, fioles à médicaments, urinoirs, biberons, bocaux à confiture et autres chopes de bière et bouteilles de lait. Bien que reconnue comme faisant partie de l'histoire de la ville, la Verrerie est restée largement méconnue et ceux qui ont œuvré à son développement et à sa prospérité sont pour la plupart passés dans l'anonymat. Loin de prétendre à une présentation complète et définitive de la Verrerie de Monthey, de ses conditions de travail et de ses employés, cet ouvrage rend hommage aux acteurs de l'industrialisation montheysanne.
Les éditions faim de siècle ont le plaisir de publier en un volume deux pièces de théâtre du jeune écrivain Bastien Fournier (1981), La Ligne blanche & Genèse 4, deux ans après la parution de son premier roman La Terre crie vers ceux qui l'habitent.
Cette édition accompagne la présentation du 24 mars au 9 avril 2007 de Genèse 4 sur les planches du Petit théâtre de Sion, et fournit l'occasion de découvrir une autre facette de l'activité littéraire de Bastien Fournier.
Que cela soit au travers d'un monologue retraçant différents épisodes de la vie d'une épouse de footballeur ou par la présentation de l'affection ou de la haine qu'éprouvent deux frères l'un envers l'autre, Bastien Fournier parvient toujours à interpeller son public et à susciter la réflexion en présentant des personnages qui restent férocement humains avec leur colères et leurs violences.
A travers son écriture, l'auteur valaisan souhaite faire partager sa vision de l'être humain, toujours soumis au contexte dans lequel il évolue.
Cette publication comprend également une postface de Jean-Michel Roessli. Ce spécialiste des sciences des religions apporte un éclairage érudit à propos des énigmes soulevées par ce quatrième chapitre de la Genèse évoquant Abel et Caïn, source d'inspiration de Bastien Fournier et de nombreux écrivains à travers les siècles.
Ce qui surprend le plus au moment de rencontrer Bastien Fournier, c'est sa capacité à glisser quelques instants de calme, avec l'aide d'une cigarette et d'un café, dans un emploi du temps très chargé pour parler de son travail avec un enthousiasme extrêmement communicatif. A l'occasion de l'édition de ses pièces La Ligne blanche et Genèse 4 et de la présentation de cette dernière sur les planches du Petithéâtre à Sion, l'écrivain romand s'est prêté sans difficulté au jeu des questions et des réponses.
"Une comédie avec un aspect tragique"
Il prend une rapide bouffée de fumée avant de se lancer dans cet exercice de style et de fournir le fil rouge de La Ligne blanche: ''Même si je ne suis pas un véritable mordu de football, j'ai effectué mes classes juniors avec le FC Fully comme latéral gauche et j'ai toujours eu un certain intérêt pour ce sport. Dans les faits, La ligne blanche est une commande qui m'a été faite à l'occasion de Fetartista et comme le budget était modeste, j'ai choisi de lui donner la forme d'un monologue. De plus, cette commande a pris place au cours de l'été 2004, durant l'Eurofoot. Je me suis donc retrouvé dans une période propice à l'écriture avec les potins dans les journaux. D'un point de vue plus personnel, j'ai toujours aimé le côté épique, même héroïque qui compose le football.''
Les amateurs de football pourraient avoir de la peine à se reconnaître dans la pièce de Bastien Fournier et les événements qu'elle relate. A cela l'auteur répond: ''Tout ce que l'héroïne de la pièce déclare est tiré d'anecdotes médiatiques ou d'histoires personnelles qui m'ont été rapportées. Tout est vrai, y compris la polémique sur la couleur des cheveux des joueurs. Cet assemblage d'anecdotes donne un côté tragique incarné par l'épouse du footballeur. Celle-ci a un côté ambigu: elle aime son mari footballeur pour ce qu'il est et c'est ce qu'il est qu'elle déteste. Dans les faits son mari est un homme ridicule en raison de son attachement à son apparence. Mais cet homme est un mythe qui est déconstruit au long de la pièce. Avec cette déconstruction, La Ligne blanche est une comédie avec un aspect tragique. Je ne voulais aussi ne pas aller trop loin car si le mari footballeur a ses défauts et ses petites faiblesses qui sont insupportables pour sa femme, il reste très amoureux de celle-ci.''
Dans la foulée des premières représentations, Bastien Fournier a reçu un grand nombre de réactions contrastées: ''J'ai eu un écho très positif de la part des spectateurs de football qui ont ressenti dans la pièce ce qu'ils ressentent en tant qu'observateurs du sport. Par contre, les personnes qui sont elles-mêmes impliquées dans ce sport m'ont reproché d'en donner une image peu reluisante. On pourrait dire que le public des stades s'est plus reconnu que les footballeurs eux-mêmes.''
" Une action citoyenne "
La discussion change quand on aborde la seconde pièce et son thème du fratricide: ''De par l'orientation de mes études en littérature, ce thème m'a toujours intéressé. Pour être exact, j'ai été attiré par les textes qui relatent le passage du monde païen vers le chrétien. De plus, le texte de la Genèse qui se trouve dans la Bible offre beaucoup de possibilités pour une adaptation au théâtre car il contient une foule de passage où les explications manquent. Il y a donc de la place pour la poésie. Et la thématique des frères ennemis m'a beaucoup interpellé car elle pourrait être rapprochée avec l'histoire de l'humanité.''
Si le lecteur de la pièce vient à souligner le côté sombre du texte, Bastien Fournier tient à lui opposer un point de vue un peu plus nuancé: ''Je ne pense pas que l'être humain soit bon ou mauvais, il réagit en fonction de la situation dans laquelle il se trouve. Dans la pièce, le public voient deux frères qui s'aiment, mais que la situation dans laquelle ils se trouvent va les amener à se détester. C'est un enchaînement absurde est qui est perçu comme tel par les protagonistes. La violence submerge l'être humain, c'est une force irrationnelle qui s'empare des gens, comme une forme de colère. La pièce est un peu pessimiste car cette violence est absurde. Mais elle contient aussi de l'optimisme car la violence n'empêche pas l'Amour. On ne déteste que ceux qu'on aime. Mon intention est de susciter un débat chez les personnes qui viendront voir cette pièce, pas d'apporter des réponses. Quel élément peut freiner la violence qui vient s'insérer dans la trame de la pièce? Vorace va chercher la justice pour ce qui lui arrive. Car si son premier meurtre est commis par jalousie, le second est une sorte de réparation suite aux actes de son frère. Je serai heureux si le public sort du théâtre en s'interrogeant sur la limite de la justice. D'une certaine manière, susciter cette réflexion est, pour moi, une forme d'action citoyenne.''
Au moment de découvrir Genèse 4 sur scène, une question vient rapidement à l'esprit: de quelles sources l'auteur valaisan tire-t-il les éléments qu'il a utilisés pour palier le manque d'explication du texte biblique? ''En fait, je me suis peu renseigné sur le sujet, précise l'intéressé, le texte original suscite des questions depuis des siècles. Un lecteur m'a fait remarquer qu'il y trouvait une lecture typologique des textes bibliques. La pièce aborde un événement relaté dans l'Ancien Testament qui préfigurerait ce qui va se passer dans le Nouveau Testament. Mais je pense pour ma part que c'est une histoire avant tout très humaine entre deux frères, c'est une tragédie familiale en milieu clos en non une pièce théologique. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai changé les noms. Le thème central de la rivalité est très présent dans la culture occidentale.''
Propos recueillis par Xavier Lambercy, 18.02. 2006 (article libre de droit)
Chaque premier samedi de décembre, des milliers de Fribourgeois se rassemblent au cœur de la vieille ville pour participer à la traditionnelle fête de Saint-Nicolas.
En 2005, pour la centième fois exactement, le patron de la cité triomphe. A cette occasion, nous avons publié un ouvrage magistral réalisé sous la direction de l'écrivain et journaliste Jean Steinauer, Saint Nicolas, les aventures du patron de Fribourg.
Avec une iconographie variée à l'appui, les auteurs répondent aux questions qui taraudent ceux qui ont eu l'occasion de participer à ce grand rassemblement : comment ce saint particulier fut-il adopté par les Fribourgeois? Le rituel de cette fête est-il vraiment immuable? Que diable peut donc ressentir saint Nicolas lorsqu'il s'adresse à la foule du haut de la cathédrale?
Vous y découvrirez tout ce que vous vouliez connaître du parton de Fribourg, sans toujours savoir à qui le demander!
Vous arrivez dans une ville inconnue, ville que vous n’avez encore jamais rencontrée, où tout est complètement neuf... Les odeurs, le vendeur de hot-dogs, les transports publics qui vous conduisent dans des eauxinconnues. Dans ces rues longues et pleines, vous devez gagner la confiance Dans un tel moment de vide, l’achat d’un guide de voyage à l’Office du tourisme peut aider. Ce ne sera pas le premier de votre collection. Vous en avez déjà plein la maison. Le plus souvent, le guide s’avère plutôt décevant. Au final, il ne vous laisse pas de grands souvenirs.
Lonely se distingue. Il répertorie les terrains verts de la ville comme le ferait un botaniste. C’est une forme d’inventaire.
Terrains intermédiaires
On les frôle, on les croise, on s’y prélasse. Mais y prête-t-on attention? Comme un touriste fraîchement arrivé, à l’esprit curieux et avide de surprises, Lonely part à la rencontre de lieux intermédiaires non classifiés. Projet artistique d’abord, l’ouvrage se parcourt comme un guide de voyage. Mais aussi un – faux? – guide inédit, particulièrement original pour surprendre les habitants et visiteurs.
Lonely c’est peut-être aussi la lumière si particulière qui traverse le branchage en été. Avec une certaine moiteur mêlée de promenades. Radicalement, comme une fin du monde. Décliner ce grand inventaire, c’est sacraliser le présent comme si un jour tout devait disparaître.
Concept et idée: cramatte.com
Direction artistique: rmgdesign.ch
Maquette Book Design: drawingplan.ch
Photographie et textes: Jean-Luc Cramatte, Urs Graber
En accompagnement d’une exposition en 2006 au Musée d’histoire naturelle de Fribourg, les éditions faim de siècle ont publié Calepin, loupe et filet. Les naturalistes fribourgeois sortent de leur réserve! Ce livre signé Laurence Perler Antille raconte, en 128 pages richement illustrées, l’épopée de quelques savants fribourgeois qui ont fait rayonner le canton alors que la Suisse et l’Europe se prenaient d’une nouvelle passion pour Dame Nature. Un retour sur le passé pertinent, alors que le climat et la surexploitation de la planète remettent les naturalistes sur le devant de la scène médiatique.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les sciences naturellesnaviguaient entre poésie, fable et mythologie. Le siècle des Lumières opère un virage scientifique majeur. À leur échelle, les naturalistes fribourgeois ont contribué à ce formidable essor des sciences. Par monts et par vaux, armés de leurs calepins, loupes et filets, ils sont sortis de leur réserve pour parcourir inlassablement leur région, collectant les moindres spécimens de flore, de faune et de roche pour ensuite les étudier et les classer. Leurs correspondances et échanges avec d’autres chercheurs leur ont permis de réunir des collections extraordinaires, et nombre d’entre eux ont vu leur réputation dépasser largement les frontières nationales.
Fer de lance de ces pionniers des sciences naturelles cantonales : un ecclésiastique, le chanoine Charles-Aloyse Fontaine. Son avant-gardisme lui vaudra plusieurs réprimandes de sa hiérarchie et l’incompréhension de ses contemporains. Mais il en faut plus pour étouffer son insatiable curiosité. Pas rancunier, il lèguera la totalité de ses collections au gouvernement fribourgeois : le premier musée du canton est né. À sa suite, des dizaines de chercheurs perpétueront cet esprit et cet amour du savoir. Parmi eux, le botaniste Firmin Jaquet, le géologue Raymond de Girard et l’ornithologue Léon Pittet. Leurs engagements ont jeté les bases d’une conscience du patrimoine naturel que plus personne ne conteste de nos jours. Les éléments naturels, et le milieu alpin en particulier, ont également été utilisés pour construire une symbolique forte capable de rassembler un pays. L’edelweiss qui, à l’instar des montagnards helvétiques, résiste si bravement aux rudes conditions alpines, est ainsi devenue l’un des emblèmes les plus usités de la Confédération helvétique.
Après la parution de Lonely du photographe Jean-Luc Cramatte, les éditions faim de siècle vous invitent à découvrir un véritable "livre objet" intitulé Rêverie végétale: un léporello tout en douceur et en poésie contenant 40 images de la photographe fribourgeoise Nicole Chuard, accompagnées d’un texte de Patricia Brambilla, ode à la nature et à la magie d'un espace hors du temps, le jardin botanique de l'Université de Fribourg.
A chaque seconde, mettre ses pas dans ceux de la beauté. C'est-à-dire déceler la lumière brisée, le pastel d'un feuillage, le jet ultime d'une rose, les wagons du ciel ou le crépitement mordoré du début de l'été. Mais qu'est-ce que la beauté, au fond, et pourquoi est-il si important de la dire ? Nul ne le sait, mais nous marchons.
Patricia Brambilla
40 images au format 14 x18cm
Livre objet sous la forme de léporello
(7,4 mètres, une fois déplié),
papier invercote 280 gm2
Pour découvrir le travail de Nicole Chuard: www.nicolechuard.ch
La Suisse romande, terre du livre? Le slogan n’est pas usurpé: de Joseph Zyziadis à Darius Rochebin, d’Uli Windisch à Peter Bodenmann, ils ont tous un jour ou l’autre commis un livre ou une galette. Depuis vingt ans, la revue satirique La Distinction recense les œuvres qui ont marqué la Suisse romande, du dernier roman avec pasteur aux essais universitaires abscons d’ici et d’ailleurs. Découvrez aujourd’hui cette sélection aux saveurs d’anthologie. Le compte rendu est un art mineur, mais comme le diable se cache dans les détails, il vaut la peine de l’y découvrir.
Nous sommes tous en quête de la bibliothèque idéale. Elle fait figure d’ornement indispensable des intérieurs de l’honnête homme et de la femme célibataire, oscillant selon les caractères du capharnaüm organisé aux alignements hiérarchisés. Afin de faciliter sa constitution, la mode flatte aujourd’hui l’esprit d’inventaire, créant les Indispensables de la culture: les 1000 livres qu’il faut avoir lus, les 1000 films qu’il faut avoir vus et les 1000 tableaux que l’on doit connaître. A cette aune, nous ne vous proposons qu’une anthologie de poche, mais de bon aloi: les 50 œuvres qui ont marqué les esprits et comptent encore en Suisse romande. Depuis vingt ans en effet, la revue satirique La Distinction recense ces œuvres, du dernier roman avec pasteur aux essais universitaires abscons. La Suisse romande, terre du livre? Le slogan, vous le découvrirez, n’est pas usurpé: de Joseph Zyziadis à Darius Rochebin, d’Uli Windisch à Peter Bodenmann, ils ont tous un jour ou l’autre commis un livre ou une galette. Le spectre de cette sélection ne se contente pas de hiérarchie régionaliste. Les Alexandre Soljenitsyne, Michel Tournier, Dan Brown, Marguerite Duras et Pierre Bourdieu sont également convoqués à ce singulier tribunal. Le compte rendu est un art mineur, mais il fait encore les délices et les malheurs des acteurs du barnum culturel. On dissèque cet élément de la réception, on classifie ses auteurs, on se gausse in petto des hongres de la critique professionnelle, de la littérature avec ou sans estomac. Ces éléments ont transformé peu à peu le compte rendu en aimable paraphrase ou digestion laborieuse de communiqués de presse prémâchés. La Distinction réhabilite une forme de verve qui vous aidera à trier le bon grain de l’ivraie.
Tremblez, mémères à leur chien-chien de tous poils! Craignez le pire, grands amateurs d’estomacs inutiles!
Voilà que lassés des ébats télévisés de B.B., écœurés des pitreries animalières de Franz Weber, une association européenne s’est constituée, la Ligue Européenne Anti-Bêtes, avec pour but premier "la libération des zones urbaines de tout animal ne présentant pas une utilité démontrée, c’est-à-dire ne pouvant pas être consommé par l’homme".
La LEAB développe ses thèses dans un pamphlet récemment paru qui n’a pas fini de faire hennir les âmes sensibles. La liste est désormais établie des multiples dégâts causés par les bêtes depuis la nuit des temps: du requin mangeur d’hommes à la sournoise mygale, du pou dégoûtant à la sangsue gluante, du renard enragé au moustique harceleur. Le cheval de Troie lui-même n’est pas épargné: il n’y aurait pas de hasard à ce que des soldats (forme la plus bestiale de l’homme) aient choisi un piège de forme animale afin de s’en aller décimer leurs semblables!
La deuxième partie du livre concerne plus particulièrement le territoire urbain, fief absolu de l’humain où l’animal ne peut vivre au mieux que comme gêneur. Je ne retiens que quelques-uns des exemples proposés, qui apparaissent les plus pertinents. Le chien d’abord est tout spécialement mis à mal. Passant son temps à aboyer bruyamment le dimanche matin, à tenter de mordre les mollets des cyclistes, à déféquer aussi souvent que la nature le lui permet, à uriner chaotiquement de-ci et de-là pour – croit-il – délimiter un prétendu territoire, il est certain que sa présence en ville est impossible à ignorer.
Les pigeons ensuite sont pris à parti. "Chancres aériens", ils répandent leur précieux guano sur les têtes et les édifices, ils collent les mèches et rongent la pierre. Ils perdent leur vilain plumage (trois mues par an) et répandent par là des maladies insidieuses.
Les chats pour finir: ils massacrent les arrangements floraux des cités, miaulent de manière insupportable à la saison de leurs prétendues "amours", détruisent meubles et tapis. Ils pourraient aussi parfois s’en prendre aux nouveau-nés (Le Matin, 7 octobre 1988)!
La LEAB présente un plan d’action: en premier, stériliser tous les animaux urbains, par la nourriture (pigeons) ou par la chirurgie (chiens, chats, hamsters). Dans un second temps, la ligue voudrait accélérer le mouvement en promouvant la consommation généralisée de ce qui peut l’être sans risque: le cheval, le chien et les canaris sont des cochons comme les autres (un livre de cuisine cet automne chez le même éditeur).
La démarche de la LEAB pourrait sembler excessive au premier examen, mais c’est dans la conclusion qu’il faut trouver sa dimension éthique. Partisans d’une "misanthropie douce", ses militants déclarent que l’homme est un animal solitaire, ce qui le distingue de la bête, dont il faut encore sans cesse l’arracher. Cette trop exigeante solitude peut parfois nous amener à des rapprochements excessifs, qui sont tolérables lorsqu’il s’agit de relations entre humains, mais qui sont à condamner fermement lorsqu’ils concernent des animaux. Des expériences de psychiatres américains auraient par ailleurs démontré le rôle du cerveau reptilien de l’homme dans l’affection portée aux bêtes. L’attirance pour les animaux serait un vieux reste de notre condition animale qui irait de pair avec les pires dévoiements de l’humanité. On se souvient trop peu de l’amour que Hitler portait aux bêtes!
Aucune signature personnelle n’a pu être apposée à ce livre, l’éditeur ayant déjà été menacé de représailles par les plus extrémistes animaliers. Une justification supplémentaire à ce pamphlet qui remet avec justesse la viande au milieu de la boucherie!
C. P.
(15.06.1990)
(1) Dr M. Spörly, Les pigeons et la grande peste, Fayard, 1989, 652 p., Frs 46.20
Nos ennemies les bêtes, Favre, 1990, 145 p.
Les politiciens valaisans ont le vent en poupe, c’est indéniable. Comment expliquer ce qui apparaît de plus en plus comme un véritable phénomène de société? Peut-être par une autre approche de la communication politique, faite de convivialité et de proximité, qui ne dédaigne pas les technologies modernes. Ainsi, simultanément, deux ténors des partis minoritaires viennent de sortir leur premier CD.
Sur une musique des fameux Eric Qube et Scoof, Pascal Couchepin égrène sa profession de foi sous un titre énigmatique: Ce qui me rapproche de la gauche. Si le chœur des demoiselles du Collège Sainte-Jeanne-Antide, célèbre pour son festival de jazz, qui répète inlassablement en arrière-fond "Il fait de la politique, c’est un type fantastique…" s’avère un peu lassant à la longue, les credo du nouveau Conseiller fédéral valent qu’on s’y attarde. Ces "petites phrases", disséminées distraitement par le plus connu des Martignyois de Berne, forment, lorsqu’on les met bout à bout, une philosophie politique solidement charpentée qui va plus loin que le pragmatisme à courte vue des décisionneurs archaïques de ce pays. Qu’on en juge plutôt: "Il faut avoir une économie en bonne santé, c’est pour moi un sujet de méditation.", "Il faudra avoir le courage de prendre des mesures impopulaires.", "A la fin qu’est-ce qu’on veut?", "On peut pas refaire le monde à partir de rien."
La finesse d’analyse que révèle une affirmation comme "L’économie au fond, c’est la bonne santé du corps.", bien connue des mangeurs de salade et des adeptes de la cure automnale de raisin, se manifestera certainement dans les décisions stratégiques qui porteront bientôt la patte du nouveau chef de l’économie publique.
Peter Bodenmann a, quant à lui, choisi une démarche plus personnelle et ethnographique. A la recherche de ses origines familiales dans les hautes vallées du Haut-Valais et de segments négligés de l’électorat, il a fini par découvrir quelques familles de bouviers confinés dans leurs alpages, et dont il a recueilli les chants traditionnels. Les plus anciens parlent encore une variante étrange du dialecte régional. Ce patois germanique, localisé autour d’Obertschuggen (2400 m), ne fut jamais écrit, sa transcription pose des problèmes délicats que la pochette résout de façon peu convaincante: "Ound wen di rebe zinkt, zingen ale xasidim; poï, poï, und wen di rebe ist, esen ale xasidim, poï, poï, bom bobobom, oï, oïm."
Accompagné à l’accordéon et au violon par des natifs, l’ancien président du PSS interprète lui-même la plupart de ces morceaux. Si ses qualités vocales confirment la justesse de ses choix professionnels, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un document culturel et linguistique exceptionnel. "Le travail de la mémoire qui s’opère ici métabolise à la fois les derniers feux d’une culture paysanne moribonde et les dispositifs sociaux qui folklorisent la métaphore montagnarde tout en dévoilant le refoulement du devenir d’un passé restant l’enjeu de l’invention d’un présent qui interpelle la modernité en mutation", comme l’affirme clairement l’anthropographe Bernard Crettaz dans sa présentation du disque.
J.-F. B.
(5.09.1998)
Eric Qube et Scoof
Couchepin
CD Single, 4’30 et 3’22, prix non-indiqué
Diffusion: Valfredini,
Rue du Simplon 23, 1907 Saxon
Peter Bodenmann
Traditionellen Singen
von Oberwallis von Oben
12 chants (entre 1’60 et 3’00),
précédés d’une introduction historique
de P. Bodenmann (58’00), Frs 26.60
Diffusion: Harmonia Mundi
"Chaque fois que je visionne le DVD de Recrosio, je le vois pour la toute première fois, alors que tous les sketches de Lambiel, même ceux qui n’ont pas encore été écrits, sont déjà connus par chacun d’entre nous." C’est par ces mots forts que Raphaël Brunner, de l’ECAV, ouvrait en mars dernier le colloque de la Société Académique tenu à la Médiathèque du Valais. Embarras du jeune sociologue Frédéric Recrosio, puisqu’il était lui-même le maître d’œuvre de cette rencontre dont les actes ont enfin paru aux éditions Faim de Siècle. Il est à noter que ce colloque était financé par le pour-cent culturel du projet "Sion 2006 quand même".
La force des contributions ne manquera pas d’intéresser tous ceux que la technique de Yann Lambiel interroge. "L’art n’est jamais imitation donc l’imitation n’est pas un art. Par sa virtuosité, l’imitation ne peut se mettre en scène qu’en tant que telle. Le drame de l’imitation c’est de ne point entrer dans le drame. Elle ne se rentabilise que dans l’industrie médiatique qui renforce les masses dans leur certitude. Le plaisir de reconnaître en même temps Claude François chantant Sentiers Valaisans et Sentiers Valaisans chanté par Claude François, c’est rejoindre en même temps l’enfance de maman et celle de grand-maman. Yann Lambiel c’est le Gianadda du witz", relevait Claude Roch, chef du DECS au moment de conclure.
On peut donc aujourd’hui retrouver l’intégralité des contributions:
– L’imitation de la misère, préface de Jean-Pierre Tabin, de l’EESP.
– Tout ce que fera Lambiel m’est déjà familier, par Raphaël Brunner, de l’ECAV.
– Lambiel ou le toujours déjà-vu, par Jean-Pierre Keller, de l’UNIL.
– L’auto-absorption narcissique comme effondrement dramaturgique, par Gilles Lipovetsky, de Grenoble-1968 quand même.
– La lyophilisation de la Soupe dans l’Unbewusstseins-Industrie, par Alfred Willener, de l’UNIL.
– Toast porté au repas de midi, par Manuela Maury, bibliothécaire.
– De Lambiel à Couchepin structuration d’un réseau cohérent entre radicalisme et patriotisme, par Emmanuel Lazega, de Lille-1.
– Manque la contribution de Bernard Wyder, d’USEGO.
– Les mérites du cousin Lambiel et la justice distributive, par Jean Kellerhalls, de l’UNIGE.
– Le prêt-à-rire du cliché comique, par Uli Windisch, de l’UDC.
– Hériter de ceux qui héritent, par Christian et Michèle Lalive d’Epinay-Tornay, de l’EMS (emerit master of sociology).
– Décoincer les malheureux, par Claude Roch, du DECS.
– Misère des limitations, postface de Gabriel Bender, de la HEVS.
P. P.
(1.07.2006)
Colloque Lambiel, Faim de Siècle, 2006, 26 p., Frs 17.–
Marilyn Monroe est devenue en trente ans une sorte de sainte laïque. On la vénère, on la prie, on la pare de vertus bénéfiques; martyre plus que vierge, elle symbolise un destin exemplaire pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui.
Aux côtés de Coluche et Gainsbourg, elle trône désormais sur les autels privés d’une sorte de religion populaire que les intellectuels patentés méprisent souvent. A l’inverse, guidé par cette sorte d’instinct que lui a donné une vie de sartrologue, Michel Contat nous montre le sens profond d’une rencontre inopinée: celle de Jean-Paul Sartre et de Marilyn.
Les circonstances d’abord. Revenant de son voyage triomphal au Brésil (novembre 1960), le fondateur des Temps Modernes s’arrête quelques jours à Hollywood où il souhaitait retourner depuis cette tournée de mars 1945 que le Département d’Etat avait offerte à divers journalistes parisiens. On sait l’amour immodéré que Sartre portait au cinéma: déjà dans le Discours de remise des prix au lycée du Havre du 12 juillet 1931 – récemment publié et commenté par le même Contat aux éditions Les Introuvables – il conseillait aux bacheliers la contemplation régulière du septième art, fût-ce contre l’avis de leurs parents et du proviseur.
C’est à la pharmacie internationale de Sunset Boulevard, où il achetait sa corydrane quotidienne, que l’auteur de La Nausée rencontra l’actrice de Some like it hot, venue commander ses barbituriques. L’ayant reconnue, Sartre l’aborda pour lui narrer ses expériences personnelles avec la mescaline (à Sainte-Anne en 1935, à la suite de quoi il se crut durablement poursuivi par des langoustes). Marilyn, surprise d’abord par ce "disgusting dwarf" ("nabot repoussant", Sartre mesurait 1 m 57), reconnut enfin "the French philosopher", dont le portrait ornait toutes les gazettes de la côte ouest. Revenus à l’hôtel où résidait l’écrivain, ils entamèrent de longs échanges, qui durèrent plusieurs nuits. Le maître d’hôtel, qui avait fait le débarquement dans l’état-major d’Eisenhower et servait d’interprète, a conté à Contat ces conversations interminables et passionnantes. Généralement, Sartre expliquait d’abord divers aspects de la phénoménologie, puis parlait de Paris, de la Résistance et de lui-même. Puis, vers deux heures du matin, Marilyn prenait les choses en main. Chaque jour, Claude Lanzmann et Jacques-Laurent Bost appelaient de Paris pour que le "pape de l’existentialisme" rentre signer les pétitions contre la guerre d’Algérie. Sartre céda et quitta Marilyn au bout de quelques jours, pour ne plus jamais la revoir.
Ontologie d’un face-à-face
D’un événement si mince, l’auteur parvient à tirer des conclusions à proprement parler sidérantes: c’est un véritable choc tellurique de la pensée qui eut lieu alors. L’ancien et regretté professeur au gymnase du Belvédère (Lausanne, VD) montre d’abord que Sartre fut tout simplement fasciné par Marilyn: cette blonde aux yeux bleus lui rappelait intensément une de ses premières amies, Simone (pas celle que vous pensez, une autre), qui lui avait offert sa petite culotte pour servir d’abat-jour dans la turne que Nizan et lui partageaient à Normale Sup au milieu des années vingt. Mais cette intrusion dans l’être profond se doublait d’une autre: comme lui, la comédienne n’avait pas connu son père, "orpheline livrée au désir des hommes" et ses remarques sur cette condition devaient inspirer Les Mots, que Sartre publia justement quelques années plus tard.
Il faut véritablement parler d’une fascination de Sartre pour la réification vers l’en-soi féminin que représentait déjà Marilyn (la notion de "femme objet", peu sartrienne, n’apparaîtra que plus tard). Laissons parler Contat, au pic de sa démonstration: "elle éveillait l’amour par l’insatiable besoin qui se lisait dans ses yeux au bleu liquide, elle suscitait le désir des hommes, un désir de protection autant que d’immersion dans ce corps de vanille, elle éveillait l’affection de la plupart des femmes et leur désir aussi. (…) une sorte de christ femme, un corps de lumière, une chair irradiante comme le désir même, qui est imaginaire" Un tel déferlement de pratico-inerte ne pouvait amener qu’à une conclusion phénoménale: "la nudité est sa gloire. Mais personne ne peut s’identifier psychiquement à son propre corps: ce sont les autres qui vous en renvoient l’image." Ce fut son drame, le pour-soi se réduisait chez elle à une sorte de pâte d’en-soi.
Le Philosophe l’avait pressenti, et le Commentateur l’accouche: en Marilyn Monroe "il n’y a plus ni dedans ni dehors", comme Sartre le disait si justement à propos de la ville de Naples en 1936.
S.-M. B.
(4.09.1993)
Michel Contat
Les deux orphelins
Sartre et Marilyn
Fayard, 1993, 343 p., Frs 39.80