La messe câline

La messe câline

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Ce deuxième livre de Gérard Falcioni est la poursuite, à travers l'écriture, d'une quête de vérité. Il explique ses intentions et la genèse de La Messe câline dans la lettre qui suit:

"A la suite de la parution de L'établi de la vie, je m'attendais à vivre un hiver paisible dans la blancheur de nos montagnes. Mais certaines rencontres et de nouvelles révélations allaient contrarier mes espérances.

D'abord la position de l'évêque de Sion qui, par ses excuses hautaines et ses regrets de mijaurées, n'a fait que conforter certains notables dans leurs convictions que nous, les anciens enfants abusés par des prêtres, ne sommes que des "bons à rien semeurs de m." (remarque qui m'a été faite publiquement) et, pire encore, des cas isolés exagérant dans leurs dénonciations.

Les témoignages que j'allais pourtant recevoir, et qui se sont échelonnés durant tout l'hiver 2002 - j'en reçois encore maintenant - m'ont démontré que les problèmes de pédophilie au sein de l'Eglise suisse, même s'ils sont le lot d'une minorité, anéantissent en toute impunité des vies sous nos yeux.

J'ai reçu des témoignages abondants, émanant surtout de Valaisans et de Fribourgeois, parfois depersonnes de plus de septante ans. Il y en a qui me sont parvenus de Hollande, de Belgique, d'Italie, du Portugal, du Brésil. Certains sont d'une réalité et d'une cruauté insoutenables. Combien de vieux, ici en Valais, m'ont confié, les yeux perdus dans le lointain: "Oui, si les vieux pouvaient délier leurs langues". Et combien de personnes de ma génération se souviennent de mises en garde de leurs mères les invitant à ne pas s'attarder dans la sacristie après la messe?

Dans un village, l'instituteur abusait de certaines petites filles. Lorsqu'elles s'en ouvraient, dans le seul lieu où elles pensaient pouvoir le faire, le confessionnal, c'est le curé qui couvrait l'instituteur.

Je continue à comprendre ceux qui ne peuvent pas croire que cela existe, mais je considère en même temps que l'ampleur de cette réalité et sa gravité, qu'on essaie de minimiser, ne peuvent demeurer cloîtrées dans l'ombre du confessionnal ou du cabinet de psychiatre: "Des destins qui basculent en entraînent d'autres".

J'allais apprendre aussi comment la porte de l'évêché avait claqué aux nez des quelques mamans qui tentaient de dénoncer ces abus, que certains enfants avaient réussi à articuler. On leur répondit: "L'évêque ne peut vous recevoir mais, vous savez, les enfants oublient vite".

J'allais apprendre encore que le pauvre prêtre en question avait été déplacé dans une quatrième paroisse alors que je me souviens que mon père avait expressément demandé qu'il soit tenu à l'écart de tout contact avec des enfants. Lors de ce dernier ministère, l'évêque de Sion était le cardinal actuel.

Enfin, une lettre de la régente qui avait, en son temps, dénoncé les atteintes envers des enfants, allait déposer en moi une gerbe de dégoût et de révolte. Elle perdit alors son emploi et n'en retrouva plus.

A ceci venait s'ajouter qu'il ne s'est pas passé une semaine, durant cet hiver 2002, sans qu'une femme me confie avoir été abusée durant son enfance.

Je ne suis pas du tout préparé à recevoir et à répondre à de telles confidences. La plupart du temps, je ne pouvais que bafouiller quelques mots et m'en aller. Je n'avais pas mesuré les retombées de ma décision de publier mon témoignage.

Une révolte bouillante grondait en moi. Convaincu que la haine et la violence ne sont qu'un héritage du passé, je voulais les dépasser. Je griffonnais le soir, quelques mots, quelques lignes, afin de lutter contre la confusion et le désespoir qui m'habitaient. Je savais que je ne pourrai plus faire ou vivre "comme si de rien n'était" mais je ne savais pas que faire.

A la fin de la saison d'hiver, je me suis un peu évadé dans les montagnes. Puis, durant la semaine suivant Pâques, un premier texte a jailli, en quelques jours: L'enfant tout de blanc. Ce texte a coulé comme un ciel qui pleure et je décidais de le dédier à Gilles K. dont le témoignage m'avait bouleversé au début de l'hiver.

Je n'arrivais pas à croire ce que j'écrivais et pourtant je savais que c'était vrai. Mon corps s'est alors recouvert de plaques rouges et purulentes. J'ai eu peur.

Avant d'aller voir un médecin, et comme mon éditeur précédent refusait d'entrer en matière, je décidais d'envoyer ce petit manuscrit à quelques journalistes qui m'avaient approché lors de mon témoignage. Il devait absolument être lu, être su, quoi qu'il m'arrive. C'est alors que j'eus besoin d'aller voir "La toute vieille femme". Visite qui deviendra le sujet de la deuxième partie de mon manuscrit.

L'écriture de celle-ci m'a été plus ardue. C'était comme aller creuser un siècle qui me parut soudain opaque et obscur. Il m'avait transmis la culture qui me constitue. L'ai-je perpétuée par attachement au confort? Ce qui est sûr, c'est que je n'ai pas eu besoin d'appliquer la pommade à base de cortisone que le médecin m'avait prescrite.

Ce qui est sûr aussi, c'est que ma pensée allait se fixer désormais, à la relecture de ma vie, sur des évidences et des certitudes qui me font trembler. N'avais-je pas obéi et cru plutôt que réfléchi? La répression de la satisfaction génitale qui survint après y avoir été forcé (et, horreur, avec consentement) engendre une culpabilité tenace et morbide.

S'il pouvait finir ce temps où tant de petits dieux dansent sur le plancher de la misère, là où tant d'autres cherchent à être.

Dans sa lettre la régente a glissé, lorsqu'elle me confiait avoir essayé de dénoncer les actes de pédophilie: "Je m'excuse, mais j'ai dû vivre comme une criminelle le restant de mes jours". Moi je m'excuse aussi de devoir écrire ce livre. Il ne faudrait pas que ces choses existent, à tel point qu'on les nie et qu'on les cache comme des destins oppressés ou des bombes soudaines sur les caprices du mensonge."

Gérard Falcioni

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